Evénement improbable : bien décider dans l’urgence

Evenement improbable1. Prévisions et cygne noir

La prévision financière et la construction du budget se basent en général sur des hypothèses dont la probabilité de réalisation est élevée. Pour bâtir un plan de développement et se projeter dans le futur il est nécessaire de le considérer comme stable et suivant une tendance prévisible.

Même dans le cas de prévisions pessimistes, un grand nombre de facteurs sont mis de côté car jugés comme n’ayant pas d’impact direct. L’esprit a besoin de se reposer sur une certaine linéarité pour pouvoir imaginer l’avenir.

Nassim N. Taleb a démontré dans son livre « Le Cygne Noir » que l’Histoire est ponctuée d’événements qui n’avaient presque aucune chance d’arriver. Dans ces conditions, ce qui compte n’est pas uniquement la probabilité de réalisation des événements (représentée en statistiques par la célèbre « loi normale ») mais la combinaison de la probabilité et de l’impact des événements.

Coup d’état, tsunami, éruption volcanique, crash boursier, attentat, changement de l’environnement fiscal et réglementaire, accident…nombreux sont les exemples d’événements inattendus qui sont à même de bouleverser l’avenir de pays entiers. Leur survenue est presque impossible ; pourtant ils ne cessent de faire la une des journaux. La réponse immédiate est apportée par les gouvernements et les ONG, avec pour priorité la sauvegarde des vies ou la stabilité de l’environnement politique et économique.

Dans les entreprises, d’autres événements peuvent aussi avoir des conséquences importantes : perte d’un collaborateur, incendie d’une usine, modification de l’environnement fiscal, OPA, etc.

Devant l’éventail des situations possibles, la réaction adéquate n’est pas toujours prévue. Par définition, l’événement improbable qui survient n’est pas celui que l’on imagine. On ne peut pas élaborer autant de plans d’action qu’il pourrait y avoir d’événements, en se basant sur leur probabilité…puisque ce « cygne noir » peut être le moins probable et le plus dévastateur.

2. La mise en oeuvre d’une prévision décisionnelle

Piloter et prendre des décisions pour l’entreprise dans une telle situation de crise rend indispensable l’existence d’un processus activable en cas de besoin, et adaptable selon les circonstances.

L’approche de « prévision décisionnelle », qui consiste à utiliser des outils de prévision et de simulation pour prendre les meilleures décisions, peut dans ce cas être d’un grand secours. En effet, les outils traditionnels d’analyse décisionnelle (business Intelligence), tournés sur le passé, sont en l’occurrence d’une faible utilité.

L’objectif sera de pouvoir prendre les meilleures décisions pour l’entreprise en évaluant rapidement les conséquences humaines, matérielles et financières des différentes options. Les décisions portent les moyens à mettre en oeuvre et sur l’évaluation des facteurs extérieurs. Par exemple, le départ d’un directeur commercial peut avoir des conséquences sur le niveau d’activité et les coûts de recrutement ou de réorganisation. Une catastrophe naturelle ou un incendie dans une usine produira des effets sur la capacité de production, et par conséquent sur les coûts de sous-traitance, de remise en état, etc.

L’organisation de la prise de décision en situation d’urgence passe par les points ci-dessous. Nous ne traitons ici que l’aspect des effets financiers.

3. Le modèle logique et son évolution

 Construire le modèle logique revient à identifier et à combiner dans un modèle mathématique tous les facteurs ayant un impact fort sur le fonctionnement de l’entreprise. Ce modèle basé sur les facteurs internes et externes (« driver-based ») a l’avantage de permettre des simulations rapides sur ce qui a réellement un impact sur l’activité pour obtenir rapidement les résultats.

Par exemple, l’effet de la disparition d’une zone d’export en raison du contexte politique ou le coût de remplacement d’une personne clé peuvent être calculés automatiquement en un délai très court.

Puisque nous nous trouvons dans un cadre impossible à prévoir, ce modèle ne peut être utilisé sans adaptation à la nouvelle situation. Il faut, au moment de sa construction, prévoir  de quelle façon il pourra être modifié rapidement, par exemple en obtenant de la part de prestataires un engagement de réactivité et de coût.

4. Préparation des outils collaboratifs

 Qu’il s’agisse de préparer le modèle mathématique ou d’échanger les informations, des outils seront bien entendu nécessaires. Les outils ne sont pas la seule réponse au problème de décision. On peut par exemple mettre en place un processus tirant profit de tableurs ou de logiciels de messagerie, dont la flexibilité est souvent la bienvenue dans ce contexte.

Dans le cas d’un besoin d’outil de simulation et de prévision plus structuré, on mettra l’accent sur la flexibilité et la capacité de modification rapide des modèles. Il faut être en mesure, en quelques heures, de modifier le modèle logique initial, basé sur les facteurs, pour prendre en compte la nouvelle situation.

Une autre caractéristique clé d’un outil approprié est la facilité de déploiement. Il est important que les personnes impliquées dans le processus puissent être en mesure d’utiliser les outils rapidement, sans plans de déploiement et de formation longs et complexes.

5. Création du groupe de décision

 La composition du groupe de travail en charge de l’évaluation des décisions d’urgence doit être prévue par anticipation. Par exemple, la modification de l’environnement légal et réglementaire, détecté par un directeur juridique, peut faire apparaître des options dont les effets impliqueront toutes les directions.

Tous les membres de l’entreprise peuvent être sollicités à court terme pour apporter l’information utile : commerciaux, responsable de production, ressources humaines, etc. L’organisation en comité restreint rend chaque membre directement responsable de la production d’une partie de l’information.

Des experts extérieurs peuvent être nécessaires pour affiner la prévision ou les options.

Le mode de décision doit être décidé au préalable, sans contestation possible. Est-ce validé par le comité de direction ? Faut-il faire intervenir le conseil d’administration ? Qui valide la prévision financière utilisée, etc.. ?

6. Création du processus générique de simulation

 La prévision décisionnelle, appliquée en cas d’urgence, ressemble à un processus budgétaire léger et accéléré. Par rapport à une re-prévision (ou « forecast »), il est très différent car il doit reposer sur des hypothèses totalement différentes et non pas sur une extrapolation du réalisé inspirée par le budget initial.

Le niveau de précision est aussi très différent du budget car on ne cherche pas à préparer une base de comparaison avec le réalisé. Construit de manière collaborative, l’objectif est de choisir parmi plusieurs options. Une marge d’erreur forte est acceptable si elle ne provoque pas d’erreurs de jugement, mais permet de réduire le temps de préparation et de décision.

Comme lors du budget, le processus suivra le périmètre de responsabilité des intervenants, avec des niveaux successifs de validation.

7. Anticipation ou excès de prudence ?

L’arrivée d’un événement improbable peut remettre en cause l’existence même de l’entreprise. Dans certains cas, il n’est pas utile de mettre en œuvre une procédure de prévision collaborative d’urgence. La perte d’un fournisseur important peut rompre le flux de production et provoquer une chute du chiffre d’affaires s’il n’est pas remplacé rapidement. Le choix d’un fournisseur de substitution peut se faire par l’action de la seule direction des achats. Mais s’il n’existe pas de remplacement possible à moyen terme, le problème devient plus vital. Les options sont dès lors plus engageantes : orienter la production sur d’autres produits, racheter le fournisseur en faillite, mettre en place un nouveau mode opératoire, etc.

Préparer des outils et des processus pour des situations improbables peut ressembler à un excès de prudence. Anticiper le pire représente aussi un coût. On peut comprendre qu’on affecte des ressources à d’autres tâches plus prioritaires; il s’agit d’une optimisation rationnelle des ressources. L’essentiel est d’avoir conscience qu’un « cygne noir » peut survenir à tout moment, et que, dans ce cas, l’anticipation permettra de réagir rapidement pour éviter les pires conséquences.

 

About the Author

Laurent Allais
Laurent ALLAIS est expert en solutions d'élaboration budgétaire, business intelligence et pilotage des performances (EPM - FP&A), avec plus de 25 ans d'expérience dans ce domaine. Il intervient dans la mise en oeuvre de Workday Adaptive Planning, leader mondial des solutions cloud EPM et Financial Planning & Analysis. Après avoir fondé Artens et dirigé l'activité SAP BI-EPM de Viséo, il fonde Alsight en 2012, premier spécialiste d'Adaptive Planning en France. Alsight a rejoint Génération Conseil en 2019 dont il a dirigé l'activité Adaptive Planning pendant 4 ans, avant de rejoindre comme associé la société Adapt1Solution, désormais première société de conseil française spécialisée sur Workday Adaptive Planning. Il est intervenu chez plus de 60 clients autour des projets BI et EPM (FP&A), dont Renault, PSA, AGF, Embraer, Airbus, UCPA, ClubMed, Mega International, Pernod-Ricard, Euronext, Infovista, Véolia, Lizéo, Elitechgroup, Roquette, Pimkie, Chanel, L'Oréal, etc... Contact : Laurent.allais@expandbi.com