Diriger l’entreprise consiste à faire des choix après avoir évalué les perspectives d’évolution de l’environnement. Ainsi, la construction d’un plan d’action ou d’un budget intervient logiquement après la prévision et l’anticipation. Le cas du « crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi » est à ce titre représentatif de la difficulté d’effectuer une prévision fiable et d’agir en fonction. Compte tenu de la loi votée et des informations connues, faut-il envisager d’en bénéficier en 2013 ?
Le contenu de la loi
L’objectif de la loi est de permettre aux entreprises d’améliorer leur compétitivité en réduisant significativement le coût du travail correspondant à une part de la masse salariale.
La loi, votée par l’assemblée nationale le 19 décembre 2012, dans le projet de loi de finances rectificatives 2012, permet en effet à une entreprise de bénéficier dès 2013 d’un crédit sur l’impôt sur les sociétés. Ce crédit est calculé sur la base des salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. Le taux appliqué à cette base est de 4% en 2013. La créance viendra en réduction de l’impôt dû par la société en 2014, ou par paiement anticipé en 2013, en particulier pour les TPE/PME.
L’objet officiel de la loi est clairement établi :
«…(l’objet de la loi est) le financement de l’amélioration de leur compétitivité à travers notamment des efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement. L’entreprise retrace dans ses comptes annuels l’utilisation du crédit d’impôt conformément aux objectifs mentionnés à la première phrase du présent I. Le crédit d’impôt ne peut ni financer une hausse de la part des bénéfices distribués, ni augmenter les rémunérations des personnes exerçant des fonctions de direction dans l’entreprise.». Loi de finance rectificative 2012.
L’avantage pour les entreprises, et particulièrement pour les PME, est de pouvoir bénéficier d’une trésorerie supplémentaire et de réduire le coût du travail. En se focalisant sur les salaires de 2,5 fois le SMIC, la loi vise particulièrement les activités à forte main d’œuvre peu qualifiée.
Le risque de la prévision sur le CICE
Aujourd’hui, le salarié ne reçoit que la moitié de son salaire complet, si l’on tient compte du coût total pour l’entreprise. L’autre moitié est affectée aux charges « salariales » et « patronales ». L’une des options pour réduire le coût de main d’œuvre était de baisser directement ces charges, ce qui pouvait aussi aussi se traduire par une augmentation du salaire net. Or, le législateur a souhaité éviter que cette réduction d’impôt soit utilisée au bénéfice des dirigeants ou des actionnaires.
Le choix du gouvernement est par conséquent de créer une nouvelle niche pour l’impôt sur les sociétés, basée sur la masse salariale et utilisée sous conditions.
Dans une vue à court terme, une entreprise aurait intérêt à demander à bénéficier du CICE, afin d’augmenter sa trésorerie. Cependant, si l’on se place du point de vue de la prévision à moyen terme, on peut imaginer que beaucoup ne feront pas ce choix, et ce pour plusieurs raisons.
Le risque administratif du CICE
Le rapport des chefs d’entreprise avec la fiscalité est tendu. L’impôt qui, selon la déclaration de 1789, avait pour vocation de permettre à l’Etat de défendre les droits fondamentaux des citoyens, s’est transformé progressivement en puissant moyen d’action politique pour orienter les décisions des acteurs économiques, puis pour produire des services collectifs, avec une vocation affichée de redistribution de richesse.
En conséquence, les entreprises ont souvent le sentiment de payer l’impôt sans recevoir de contrepartie directe suffisante. La lourdeur des formalités administratives et le temps consacré aux contrôles et aux justifications viennent renforcer cette défiance.
Or, le CICE n’est pas la traduction d’une réduction de l’intervention de l’Etat. Au contraire, il fera sans doute l’objet de contrôles par le fisc et les organismes sociaux :
« Les organismes chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale dues pour l’emploi des personnes mentionnées au I du présent article sont habilités à recevoir, dans le cadre des déclarations auxquelles sont tenues les entreprises auprès d’eux, et à vérifier, dans le cadre des contrôles qu’ils effectuent, les données relatives aux rémunérations donnant lieu au crédit d’impôt. Ces éléments relatifs au calcul du crédit d’impôt sont transmis à l’administration fiscale. » Loi de finance rectificative 2012.
Tout comme le CIR, le CICE aura un coût pour l’entreprise puisqu’il faudra tracer son utilisation pour pouvoir la justifier en cas de contrôle. Comme pour le CIR, des cabinets spécialisés proposeront leur expertise afin de réduire le risque associé, qu’il conviendra de prendre en compte avant toute décision.
L’absence de visibilité sur les contreparties demandées
L’instabilité qui caractérise généralement la fiscalité rend difficile tout type de prévision dans ce domaine. L’année 2012 fut particulièrement riche d’exemples, que ce soit sur la remise en cause de lois antérieures ou l’application de taxes rétroactives. Les cas tels que la mise en œuvre en 2014 d’une augmentation de TVA initialement prévue en 2012 puis annulée ou l’assujettissement des indemnités de rupture conventionnelle, de la participation et de l’intéressement au forfait social de 20 % démontrent qu’il est hasardeux de faire toute prédiction sur la fiscalité.
Les déclarations du gouvernement concernant le CICE évoquent la création de contreparties ultérieures :
« Une 2ème loi viendra en début 2013 définir les contreparties liées à l’utilisation du CICE, et notamment les modalités de dialogue social auxquelles elle donnera lieu au niveau national et dans chaque entreprise». Communiqué de presse du premier ministre, le 22 novembre 2012.
La loi elle-même aborde ce point : les conditions d’application de cette loi et les modalités de contrôle seront définies ultérieurement, c’est à dire vraisemblablement après le début de son application.
« Après concertation avec les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national, une loi peut fixer les conditions d’information du Parlement et des institutions représentatives du personnel ainsi que les modalités du contrôle par les partenaires sociaux de l’utilisation du crédit d’impôt afin que celui-ci puisse concourir effectivement à l’amélioration de la compétitivité de l’entreprise. » Loi de finance rectificative 2012.
Une entreprise qui déciderait d’utiliser le CICE, et de surcroit par paiement anticipé, prendrait le risque de se voir exiger des contreparties qu’elle n’avait pas prévues, ou, le cas échéant, de le rembourser. Le Premier Ministre évoque « notamment » un dialogue social dans chaque entreprise. Puisque rien n’est encore décidé, et compte tenu de l’objet officiel de la loi, d’autres contreparties pourraient être demandées, directement liées à l’utilisation du CICE ou non :
– Nombre de recrutements minimum
– Absence de licenciements
– Montant des investissements, notamment réalisés en France ou pour la transition écologique
– Montant des formations
– Montant des bénéfices distribués
– Niveau des augmentations et rémunérations des dirigeants
– Niveau des augmentations des salariés au-dessus ou au-dessous de 2,5 Smic
Ainsi, plutôt qu’un simple moyen de réduction du coût salarial au service de la croissance, il serait plus juste de considérer le CICE comme un nouvel outil de l’Etat pour orienter les décisions économiques des entreprises. Les contreparties pourront concerner l’utilisation du CICE ou être relatives à des décisions générales de gestion. En utilisant le CICE, une entreprise prend le risque de se voir imposer des décisions a posteriori.
Un cadeau aux entreprises ?
Enfin, et compte tenu de ce qui précède, combien faudra-t-il de temps avant qu’on considère que le crédit d’impôt n’est pas un remboursement d’une part des charges salariales déjà payées par l’entreprise, mais un chèque de l’Etat aux entreprises, financé par les contribuables subissant une hausse de la TVA ?
L’opinion publique est essentielle pour un gouvernement en recherche de notoriété. L’image des entreprises recevant un cadeau de l’Etat, payé par les français déjà frappés par une forte fiscalité, pourrait amener le gouvernement à durcir les conditions d’obtention, y compris rétroactivement.
Le débat ne fait que commencer
Par exemple, le CICE pourrait être utilisé pour taxer les entreprises qui versent des salaires supérieurs à 1 million.
Dans un article publié dans “le Point” le 3 janvier 2013, Christian Eckert, Rapporteur de la commission des finances de l’assemblée nationale, revient sur la censure par le conseil constitutionnel de la taxe à 75% sur les salaires supérieurs à 1 million d’euros.
Il regrette cette décision, considèrant que cet impôt était en réalité une “amende ” qui avait un objectif dissuasif et symbolique : “Si vous dépassez la ligne jaune, vous payez”.
Parmi les futures pistes possibles pour obtenir le résultat recherché, M. Eckert évoque l’idée de taxer les entreprises qui versent ces salaires :
“On peut, par exemple, imaginer de cibler les entreprises qui pratiqueraient des salaires supérieurs à un million d’euros, soit en annulant les réductions de charges, soit en les amputant du crédit d’impôt-compétitivité.“
Enfin, M. Eckert souligne que ceci ne se fera “ni dans les prochaines semaines, ni même dans les prochains mois“.
Ces propos illustrent le manque de visibilité sur les futures contreparties du CICE et ils montrent comment sa nature pourrait évoluer à la suite des débats parlementaires en 2013.
En conclusion, si la vocation initiale de réduire la charge salariale de certaines entreprises pour améliorer leur compétitivité est maintenue, les conditions de mise en œuvre et ses conséquences imprévisibles nous amènent à être prudents dans son utilisation. Une véritable stabilité fiscale, constatée sur le long terme, pourrait permettre à des entreprises habituées à la gestion administrative de ce type de dossier d’en bénéficier sans prendre de risque majeur.